Cercle Raymond Aron


Les débats

 

 

ISLAM ET ISLAMISME
REUNION-DEBAT DU 6 FEVRIER 2002

EXPOSE :

LE CORAN :

L'islam se veut la fin des religions. Le prophète est le dernier des prophètes, le "sceau" qui cachète les autres religions du livre. L'Islam se voit comme l'apothéose des religions. Dans le credo des musulmans, on trouve "je crois en Dieu, en ses prophètes, en ses livres".(évangile et torah).
Dans le Coran il y a deux tendances : la période mecquoise, la période médinoise. A la Mecque le prophète est peu écouté, il est en position de faiblesse. Avec un petit groupe il doit fuir. C'est un période négative. Dans ce passage,la parole du prophète est menaçante, du type "si vous ne croyez pas attention à vous". A Médine, le prophète a des liens avec les juifs et les chrétiens. Le prophète acquiert une grande connaissance de ces deux religions. C'est à partir de ce moment que l'islam devient la synthèse des religions.

Souvent on cite des versets du Coran hor de leur contexte, en l'isolant du texte, du moment, des faits du prophète éclairant les versets. Attention à l'interprétation ! C'est sous le troisième calife Utman que le coran est rédigé alors que ceux qui avaient appris le Coran par coeur meurent. On se réfère à l'islam aujourd'hui comme quelque chose d'immuable, d'intemporel, valable par tous les temps. L'interprétation donne un élément d'atemporalité. Très souvent ceux qui analysent l'islam comme par exemple les Frères Musulmans voient l'islam comme un Etat pur et parfait, vers lequel le monde d'aujourd'hui loin du vrai islam doit tendre. On oppose texte et application. Quand quelque chose ne va pas, c'est une mauvaise application.

ISLAMISME

L'élément nouveau qui a surgi il ya une vingtaine d'années, c'est d'avoir voulu réaliser l'islam en tant qu'Etat. C'est l'islamisme : un islam politique, base d'un Etat.

La chrar'a est la loi musulmane. Or à part le coran, le Hadith, il n'y a pas d'autres textes, comme des textes de lois ou des constitutions. Par exemple pour l'adultère : on frappe 100 coups de bâton. Pour le vol, on coupe la main.Ceci est appliqué au Soudan. Tout le monde n'est pas d'accord dans les pays musulmans car on élimine l'aspect historique; Il y a différentes écoles, différentes tendances. Pour certains, il faut suivre l'évolution : on n'a pas le droit d'appliquer ce qui est écrit dans la char'a, car certains textes posent problème dans l'Etat moderne.

Au moment de la chute du shah d'Iran, les gens essaient de trouver une altrnative pour les pays arabes. Le communisme, le stalinisme, le moïsme sont en chute libre. On se demande si Khomeiny ne serait pas une alternative. Même les partis de gauche s'enthousiasment. Chacun prend son islam et essaie de composer. Il y a eu un moment de flottement qui a duré peu car quand l'Etat musulman s'est posé concrètement, il y a eu un problème de démocratie.

Dans l'islamisme, la religion n'est que façade. L'islam sert d'idéologie. On profite d'une situation de flou où personne n'exprime son point de vue. On ne demande pas l'avis au musulman moyen.

Les musulmans moyens, qu'est-ce que c'est ? On a posé la question a des élèves de collège? Les réponses : être musulman, faire ramadan, tuer le mouton. Mais au niveau du Coran, on remarque une ignorance complète. On utilise dans les habitudes quotidiennes un certain rituel ou des mots musulmans comme bonjour ou mange, mais sans s'en rendre vraiment compte. Il n'y a pas de catéchisme. Personne ne peut se dire le chef spirituel des croyant. Le roi du Maroc se nommerait chef des croyants, il ne serait pas reconnu dans les autres pays musulmans. Quant aux fatwa, elles n'ont de légitimité que dans le pays de départ. Cependant si on la reconnaît, elle prend une valeur symbolique de loi.

— Est-ce qu'on peut penser que la pauvreté est un des facteurs de l'islamisme ?

—C'est une explication. Il y a un fond social sur lequel se greffe la religion politique.Par exemple en 1984, une décision du FMI pour sortir de la crise économique fut d'augmenter le prix du pain. Les émeutes furent réprimées dans le sang. La gauche marocaine a essayé de rassembler les mécontents mais n'a pas réussi. L'islamisme y parvient car les gens sont croyants, ils croient à une certaine fatalité.

— Cependant, dans le dernier ouvrage de Gilles Kepel, il est précisé, que les Frères musulmans venaient pour la plupart de familles de classes moyennes...

— Et en Egypte ils ont d'abord touché les universités...

—Il est difficile cependant de dire que les populations arabes se tournent vers l'islamisme. Par exemple au Maroc, il existe un texte qui reconnaît la polygamie, dans lequel le mari peut répudier sa femme. Certaines classes intellectuelles essaient de le changer. Mais le texte continue d'exister. Il y a eu une manifestation et une protestation contre la suppression du texte, dont on trouve l'origine dans la manipulation du peuple. Et le texte continue à exister. Pourtant dans la réalité il y a eu une évolution. Les hommes n'ont en général qu'une seule femme.( Déjà cela leur coûte assez cher)

— Quelles normes existe-t-il dans les pays islamiques ?

— Il y a quatre sources de normes :

Quand le prophète était vivant et qu'on avait un problème de droit on allait le voir et on lui posait la question. Le prophète donnait une réponse au cas présenté. Les sources du Coran offrent donc un droit casuiste et lacunaire. A la mort du prophète de Coran est clôt. Mais la communauté se trouve face à de nouvelles situations. On essaye de procéder par analogie, en comparant les cas avec ceux que Mahommet avaient eu à résoudre. Les juristes musulmans doivent sinon trouver à partir du Coran une répons eà une situation nouvelle. Chez les chiites, cette nouvelle loi est une fatwa.

Dans la constitution des pays arabes, il est fait référence dès le premier chapitre à la religion musulmane.

— Est-ce qu'il existe un islam politique modéré ?

— Il existe dans les pays musulmans toute une gamme de régimes politiques : de la dictature à un régime modéré comme le fut celui de Bourguiba.Bourguiba par exemple n'a jamais dit qu'il était contre l'islam mais il faisait la séparation entre sa croyance et la politique. On a l'impression dans la question posée que les deux choses s'opposent entre démocratie ou modération et islam. On mélange politique et religion. On contourne les versets du Coran la plupart des fois. Par exemple, pour le système bancaire il y a eu des difficultés : comment on parle de l'intérêt alors que l'intérêt est interdit dans le Coran.

— Pourquoi les musulmans en France ont du mal à avoir une représentation légitime ?

— L'islam français est un réduit de ce qui se passe dans les pays musulmans. Pour l'islam il n'existe pas d'instance reconnue par tous les pays musulmans de France. Ceux qui vivent en France, peu savent beaucoup de la religion musulmane ou de la chari'a. Il n'y a pas de notion de représentaton. Le but de Pasqua ou d'autres c'était d'avoir des imams dans les mosquées qui forment des musulmans modérés et qui ne soient pas dépendants de l'extérieur. C'est une question politique. Former des imams en France revient à avoir des musulmans modérés qui respectent les lois françaises. Dans les universités on a tenté plusieurs fois de prôner un islam ouvert. Mais malgré ces efforts, ce n'est pas demain q'on aura une représentation. Peut-être au niveau des jeunes une évolution se fait.

— L'islam est-il soluble dans la démocratie, dans la république ?

— L'islam est la deuxième religion de France. Peut-être un jour un parti islamiste pourrait essayer d'avoir une représentativité au parlement.

— Est-ce qu'il y eu des historiens muslmans qui se sont prononcés pour la laïcité ?

— Oui; Par exemple, le livre d'Ibn Khaldoun au XIV ème siècle : il est un peu le précurseur de Durkheim. Il avait l'esprit ouvert et s'est essayé aux sciences à l'analyse. Cependant à la fin du livre, son dernier mot est pour Dieu : "J'ai écrit tout cela. Mais Dieu seul le sait." On retrouve tout cela dans les mouvements de renaissance des années 20. Cependant on ne dit jamais qu'on n'est pas musulman, même si on cherche des solutions modernes. On essaye d'avancer sans toucher à la religion. Par exemple l'adoption d'un enfant est interdit par l'islam, cependant l'adoption existe au Maroc. Il ne faut pas en parler.

 

Bibliographie :

KEPEL Gilles :
Jihad, Expansion et déclin de l'islamisme, Gallimard, 2000.
Chronique d'une guerre d'Orient, Gallimard, 2002

LEWIS Bernard :
Les Assassins, Terrorisme et politique dans l'Islam médiéval, Complexes, 1984

Revue Esprit : numéro août-septembre 2001 : A la recherche du monde musulman

 

 

 

 

L'IDEOLOGIE EUROPEENNE EXISTE-T-ELLE ?
REUNION-DEBAT DU 30 NOVEMBRE 2001

La première réunion-débat s'est déroulé vendredi 30 novembre de 17h30 à 19h00 et a rassemblé 17 personnes autour du thème l'idéologie européenne existe-t-elle ? Ce thème sera abordé par Monsieur Roland Hureaux lors de sa venue le mardi 11 décembre, à propos de son ouvrage Les hauteurs béantes de l'Europe.

L'EXPOSE :

Roland Hureaux veut renverser l'idée commune selon laquelle l'Europe s'unit autour d'intérêts économiques culturels et moraux, en se demandant s'il existe vraiment un intérêt propre à l'Europe. Avant on raisonnait pour la notion d'intérêt à l'échelle de l'Etat. Aujourd'hui on veut raisonner à l'échelle de l'Europe. Huntington, qui observe la tendance contemporaine aux regroupements, annonce une nouvelle échelle remplaçant l'échelle des Etats, c'est à dire la civilisation.

Quels sont les intérêts communs à l'Europe ?

Des intérêts politiques ? Pendant longtemps ces intérêts ont été la menace communiste, les relations avec le Moyen-Orient sur le problème des ressources, la coopération militaire. Mais aujourd'hui le régime soviétique s'est effondré, les discussions avec le Moyen-Orient ne se font plus en commun et au niveau militaire les plans de la France sont rejetés.

Des intérêts économiques ? Malheureusement ceux-ci s'effritent , notamment en période de crise(ex : vache folle). De plus force est de constater que la PAC fonctionne de plus en plus mal.

Une affection entre les sociétés européennes ? C'est le rêve qu'une compréhension des peuples unirait l'Europe. Cependant, ce rêve ne s'est pas encore réalisé.

L'Europe, une idéologie ?

Une idéologie est une croyance doctrinaire dogmatique forte sur des principes rigides peu conformes au réel.

Une Europe comme Empire ? (cf Jean Monnet) : dans la réalité objective, les éléments de fusion n'existent pas. Il n'y a pas de liens charnels concrets. Seules des idées abstraites, universelles, générales sont communes à l'Europe, c'est à dire les droits de l'homme et l'économie de marché.

 

RESUME DU DEBAT :

-Alors il reprocherait à l'Europe de ne pas être une Nation. Mais est-ce l'objectif que se donne l'Europe ?

-Aujourd'hui le débat sur l'Europe est-il tranché ? Pour certains oui, il existe un panel d'hommes politiques de souverainistes à fédéralistes. Pour d'autres pas du tout. Une certaine mystique entourerait le problème. Les politiques ont-ils une idée précise sur l'Europe ? Parfois leurs idées et thèmes se recoupent entre souverainistes et fédéralistes et aucun n'est vraiment très clair sur ce sujet.
N'y aurait-il pas une non idéologisation de l'Europe ? Et cette non idéologisation ne serait-elle pas à l'origine de l'Europe ? Et de ce débat ressort un flou qui laisse le citoyen perplexe. Est-ce que le citoyen comprend bien les enjeux de l'europe ? Certains citoyens sont déjà à l'heure de l'Europe, d'autres imaginent cette Europe très lointaine. Une France à deux vitesses ?

-Et existe-t-il encore une nation française, est-ce que les citoyens français ont encore la volonté de vivre ensemble ou se sentent-ils passés à l'Europe ? Pour la majorité des français l'Europe semble lointaine et en même temps ils commencent à paniquer à l'arrivée de l'euro. L'Europe leur paraît être un processus irréversible sur lequel ils ne sentent pas avoir prise. L'Europe suit-elle le processus civilisationnel de Huntington : ce processus n'a plus lieu dans les Etats, c'est un phénomène interétatique. Mais est-ce que ce processus civilisationnel est l'aboutissement d'un choix ou est-il imposé à la civilisation ?

-Cependant si l'Europe est conduite par une idéologie, qui en retirerait les avantages ? Pour Hureaux implicitement les allemands. C'est le retour en force de l'Allemagne pour Hureaux.
La France et l'Allemagne ont toujours eu deux dynamiques opposées. De là à ce que l'Allemagne soit un grand Satan...

L'europe s'est construite en opposition au régime communiste. Aujourd'hui le régime communiste est tombé. Est-ce que le nouveau concurrent par rapport à qui l'Europe se construirait ne serait pas les Etats Unis à qui l'Europe chercherait à faire un pendant ?

 

Le Cercle Raymond Aron remercie ceux qui ont bien voulu se prêter aux débats. Nous comptons sur vous tous pour une prochaine réunion.